15 Oct La Conacado : La lutte des cacaoculteurs de l’île d’Hispaniola
La Conacado : La lutte des cacaoculteurs de l’île d’Hispaniola
Sur un sentier pentu près du village de Yanabo, un groupe d’élèves se dirige vers l’école primaire. Du haut d’une colline, la vue de la forêt tropicale est tout simplement magnifique. Cette « selva » de l’île d’Hispaniola abrite de nombreuses plantations de cacaotiers qui occupent le quart des forêts de la République Dominicaine. Ce pays des Caraïbes compte quelque 40 000 producteurs de cacao récoltant 50 000 tonnes métriques de fèves annuellement. C’est le pays de la Confederación nacional de cacaocultores dominicanos (Conacado), une fédération nationale fondée en 1988 avec aujourd’hui 7 coopératives régionales, regroupant 162 associations et près de 10 000 producteurs! « Nous représentons 25% des producteurs de cacao du pays! », souligne Isodoro de la Rosa, directeur exécutif de la Conacado.
Dans le village de Yanabo, Olga joue avec ses frères pendant que sa mère racle les fèves de cacao sur un séchoir en bois qu’ils ont pu construire grâce à un prêt à faible taux d’intérêt, consenti par leur coopérative. Fondée en 1988, la CONACADO a permis de grands changements pour les petits producteurs dominicains. L’un des plus importants étant l’accès au crédit. Pour les familles cacaocultrices la récolte qui ne dure que quelques mois les laisse sans revenus une grande partie de l’année et donc vulnérable à un endettement chronique: « Chez les commerçants locaux, l’intérêt est de 3 à 5 % … par mois! Et tout est garanti par le cacao à venir » raconte Fauto un paysan dominicain. Un cercle vicieux d’endettement qui force les paysans à vendre toute ou en partie leur récolte à faible prix à ces commerçants, pour rembourser leurs dettes. « Plusieurs en perdent leurs terres à chaque année» explique Fauto.
« Avant, les paysans ne touchaient que 40% du prix d’exportation du cacao, mais maintenant c’est plus de 80% », décrit le directeur de la Conacado. « Tout a changé avec l’ouragan Georges ». En fait, Georges n’a pas été tendre lorsqu’il a traversé la République Dominicaine, le 22 septembre 1998; la tempête a fait des centaines de morts et déplacé 185 000 réfugiés. Pour l’industrie cacaotière, l’ouragan a ravagé de grandes régions, coupant des deux tiers la récolte annuelle.
À cette époque là, la CONACADO, n’exportait que 7 % du cacao dominicain. Suite au passage de Georges, les petits producteurs étant incapables de rembourser leurs dettes, le gouvernement dominicain a mis sur pied un programme pour régler les emprunts. Les petits producteurs dominicains ont alors été libérés de leurs dettes et de l’obligation de vendre aux acheteurs privés. « En plus d’augmenter le nombre de nos membres, nos producteurs vendent maintenant tout leur cacao aux coopératives de la confédération », précise Isodoro. Après quelques années, la Conacado exportait 30 % de la production nationale, se classant pour la première fois au sommet des exportateurs de cacao du pays! « C’était un moment exaltant, mais on a fait des jaloux sur l’île », chuchote Isodoro.
Dans leur plantation, le père d’Olga et ses frères aînés récoltent les cabosses de cacao qu’ils regroupent au pied d’un grand cacaotier. Munis d’une machette, ils coupent avec dextérité le fruit pour en extraire les graines qui sont recouvertes d’une pulpe blanche. « Il ne faut pas trop couper la cabosse pour ne pas endommager les graines ». Les graines sont recueillies dans une grande feuille de bananier alors que les cabosses sont laissées au sol pour se décomposer et fertiliser la terre. De retour à la maison, ces graines sont mises à fermenter pendant 6 jours, dans de grands bacs en bois. Étape très importante, la fermentation permet d’éliminer la pulpe, mais transforme surtout la graine en fève en anéantissant l’embryon, et en donnant naissance aux précurseurs chimiques qui donnent tout son arôme au cacao. Par le passé, le cacao dominicain n’était pas fermenté et était dévalué sur les marchés internationaux pour sa piètre qualité. Aujourd’hui, la CONACADO est non seulement reconnu pour la bonté de son cacao, mais également car il est certifié biologique et équitable. La Confédération est en fait le plus important fournisseur de cacao biologique et équitable au monde!
« Le cacao équitable connaît une vaste progression ces dernières années » raconte Basilio Almonte, responsable des certifications au sein de la Conacado. « Nous avons pu mettre en place de nombreux projets grâce aux primes équitables : bourses scolaires, construction et rénovation d’écoles, pépinières pour le reboisement, quelques cliniques rurales, des salles multifonctions et surtout des puits pour un meilleur accès à l’eau potable pour plus de 3000 familles…C’est le tiers de nos membres! » précise Basilio.
Pour Olga et sa famille, l’eau potable et l’électricité n’auront pas eu le temps d’arriver à Yanabo avant qu’ils ne quittent le village pour une petite ville régionale afin de poursuivre leurs études supérieures. Rencontrée en 2002, Olga étudie aujourd’hui à l’Universidad Pública pour devenir médecin! Deux de ces frères étudient en ingénierie et en science informatique, alors qu’un troisième cultive toujours le cacao avec son père sur leurs terres à Yanabo. Le village a maintenant l’électricité, une route carrossable et une petite clinique pour desservir les familles de la région.
La Conacado poursuit ses investissements dans le développement local et particulièrement pour l’amélioration des techniques agricoles de ses membres, afin que chacun puisse améliorer son propre sort. La confédération a aussi récemment fait l’acquisition d’une usine de transformation du cacao, pour offrir des produits de cacao à valeur ajoutée (poudre, pâtes, etc) avec le souhait d’un jour distribuer son propre chocolat sur les marchés locaux voire internationaux! Au Québec, les gens de la Siembra et leurs produits Camino sont des partenaires de longue date de la Conacado.
Texte et photo : Éric St-Pierre