Ateliers de misère, commerce équitable et mouvements sociaux - Association québécoise du commerce équitable
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Ateliers de misère, commerce équitable et mouvements sociaux

Ateliers de misère, commerce équitable et mouvements sociaux

Drame de Rana Plaza au Bangladesh :
à chacun et chacune d’agir pour que ce soit le dernier

Au cœur de la Quinzaine du commerce équitable et à la suite de la Fête internationale des travailleurs et travailleuses du 1er mai, il est intéressant de se rappeler que du côté européen, les mouvements de lutte contre les ateliers de misère sont nés de l’initiative des organismes de commerce équitable. C’est le cas en particulier en France où, dans le milieu des années 1990, la Fédération Artisans du Monde (FAdM), alors principal réseau national de promotion du commerce équitable, a créé le collectif « De l’éthique sur l’étiquette » (ESE). C’est précisément la personne en charge du projet d’éducation du public à la FAdM qui a imaginé et développé ce collectif et l’a arrimé au réseau européen Clean Clothes Campaign (CCC).

Indépendamment du rôle joué par les organismes européens de commerce équitable dans ces actions, l’intelligence de ces campagnes, leur force et leur relative réussite repose en bonne partie sur la mobilisation de forces diverses : organismes de commerce équitable (OCE), syndicats, ONG de défense des droits de la personne, associations de consommateurs, et ce, tant en Europe que sur le terrain, essentiellement en Asie. On peut sans doute parler dans ce cas de la création d’une nouvelle forme de mouvement social.

Les premières campagnes ont ciblé l’industrie des vêtements et équipements de sport, en particulier les chaussures et les ballons. La stratégie qui s’est dégagée au fil des ans a été de :

–          collecter de l’information pour documenter les filières (en mettant au jour les pratiques de la sous-traitance en cascade)

–          alerter les consommateurs sur ces pratiques en mettant l’accent sur les conditions de travail les plus innommables (travail des enfants, accidents meurtriers, etc.)

–          inviter ces derniers à demander des explications aux gérants des chaînes de magasins spécialisées (dans l’équipement et l’habillement de sport)

–          enfin, remonter des dizaines de milliers de cartes-pétitions au plan des fédérations de commerçants et à différents paliers politiques pour exiger des mesures correctives.

Le but affiché, dans les premières années au moins, était de créer une sorte de « label social » permettant de garantir le respect des règles fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail et, par un étiquetage explicite, en informer le consommateur.

On voit dans ce but et dans cette stratégie l’empreinte apportée par le commerce équitable qui, après avoir sensibilisé les consommateurs sur l’iniquité des échanges commerciaux Nord-Sud, venait quelques années plus tôt de se doter des premiers systèmes de certification sur la base de critères strictement définis.

D’autres manifestations de ces liens forts entre les campagnes CCC et le commerce équitable peuvent être identifiées. Par exemple, effet inattendu, les campagnes ont généré des attentes des consommateurs auxquelles la pesanteur du processus de mise en place du label social ne pouvait pas répondre à court terme. En effet, informé sur les conditions de fabrication de ses chaussures de sport, t-shirts et ballons, toute personne de bon sens, après avoir signé une pétition et manifesté sa désapprobation, se pose la question : « Que faire maintenant pour s’habiller ou jouer au soccer en respectant une certaine éthique? ». Ainsi, en raison de la proximité entre ces nouveaux mouvements sociaux et les organismes de commerce équitable (OCE), des produits répondant aux critères d’équité ont alors été imaginés. Le but était d’offrir une alternative, ou pour le moins de prouver qu’il est possible de fabriquer, dans les pays en développement, des vêtements et articles de sport tout en ayant le souci du bien-être et de la justice sociale. C’est de cette période que datent les premières tentatives de développement et de commercialisation de t-shirts, chaussures de sport et ballons équitables.

En comparaison de ce contexte européen, la situation au Québec est assez différente. Le Centre international de solidarité ouvrière (CISO), un organisme québécois, fait référence à ces mouvements européens, notamment à travers la création de la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM). Mais, contrairement à la Clean Clothes Campaign, les acteurs québécois du commerce équitable n’en sont au mieux qu’une voix parmi d’autres. Et, plus généralement, la mobilisation autour de la CQCAM, malgré les efforts investis, a eu de la difficulté à rejoindre un public qui n’était pas déjà préoccupé par la question.

Ce qui est intéressant à travers ce constat, c’est le parallèle qui peut être fait entre les réactions, d’un côté et de l’autre de l’océan, à la suite du drame de l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza à Dacca au Bangladesh. À cet égard, la couverture médiatique du sujet, et en particulier dans l’article publié dans le supplément économie du Devoir le 1er mai[1], est assez révélatrice.

Côté canadien, ce sont les dirigeants des plus grandes compagnies incriminées et leurs représentants au sein du Conseil canadien du commerce de détail à qui on donne la parole. Une ONG de renom les y encourage, non sans une certaine complaisance. En effet, quel crédit peut-on accorder aux déclarations de ces entreprises qui s’affranchissent à bon compte en déclarant avoir fait de leur mieux en adoptant des codes de bonne conduite? Nul doute que les conseillers en communication et gestion du risque de ces firmes auront calculé qu’il est plus rentable à moyen terme de plaider coupable et de faire amende honorable plutôt que de se taire. Et certains, y compris parmi les experts en responsabilité sociale des entreprises, déclarent être confiants dans le fait que ce drame soit le dernier[2]!

L’attitude des firmes, celles qui avancent à visage découvert comme celles qui se cachent, ne permet nullement d’espérer un véritable changement – tout au plus un maigre soulagement pour les victimes et leurs familles. Quelques rares voix dispersées, un communiqué conjoint du CISO et de l’AQOCI[3] ou une entrevue de Laure Waridel à RDI détonnent dans ce paysage en appelant à la responsabilité des États et à la mobilisation des citoyens. Pour résumer, côté canadien, ce sont avant tout les entreprises qui s’expriment pour nous dire qu’elles vont régler le problème. On peut s’étonner que la Chaire de responsabilité sociale et développement durable de l’UQAM et qu’une organisation de coopération internationale adressent une critique plus que modérée de ces entreprises, alors que d’autre appellent à la responsabilisation des citoyens et des gouvernements. Quant aux gouvernements, justement, c’est le silence total.

Côté européen cette fois, ce sont les instances politiques qui s’expriment par les voix de la chef de la diplomatie et du commissaire au commerce. Ils s’adressent directement à l’État du Bengladesh pour l’exhorter à prendre ses responsabilités tout en lui offrant son soutien. Ils rappellent que « la Commission européenne étudie depuis quelques mois un projet de promotion des normes du travail dans le secteur du prêt-à-porter ». Sans préjuger des actions qui suivront ces déclarations ni des résultats qui en découleront, il est tout de même rassurant de constater que ceux qui élèvent leur voix dans cette affaire n’ont pas d’intérêt personnel et sont redevables devant les citoyens. Il est surtout réconfortant de constater que la stratégie imaginée et mise en œuvre par les collectifs CCC a porté fruit. Car, à n’en pas douter, les sphères politiques ne sont pas naturellement meilleures en Europe qu’au Canada ou ailleurs dans le monde. Simplement, elles font leur travail, à savoir faire écho aux voix des citoyens qui se sont organisés pour se faire entendre.

Comment ne pas voir dans ces différentes réactions et attitudes l’effet de l’action, d’une part, ou de la quasi-absence, d’autre part, de mouvements sociaux forts et organisés pour lutter contre les ateliers de misère? Suite à l’actualité récente du drame du Rana Plaza au Bangladesh, on ne peut qu’espérer que des initiatives de commerce équitable ou de « label social » soient reprises et développées au-delà des petits cercles d’initiés. Chacun veut voir cette catastrophe comme la toute dernière. Mais il faudra plus que des mots et de vagues promesses pour réaliser ce souhait. Des alternatives existent déjà, des solutions ont été expérimentées depuis plusieurs années. Ce qu’il faut maintenant, c’est avant tout une volonté forte relayée par le plus grand nombre de citoyens et partagée par les décideurs politiques et économiques.

C’est donc sur une note d’espoir que nous concluons en invitant les acteurs du commerce équitable, dont nous faisons partie, à s’allier à d’autres forces progressistes pour composer les mouvements sociaux indispensables au changement. En l’absence de ces coalitions, nous laissons toute la place aux intérêts des entreprises privées qui se substituent aux pouvoirs publics en établissant leurs propres normes du travail et en créant des formes de fonds sociaux d’indemnisation des victimes, financés par les impôts qu’elles ne paient plus et activés selon leur bon vouloir. En l’absence de cette convergence des luttes, la démonstration vient d’être faite que les gouvernants laissent faire et laissent dire. Nous voulons croire aussi, bien sûr, que ce drame sera le dernier; mais c’est à chacun et chacune d’agir en ce sens.

Pour signer la pétition s’adressant aux dirigeants du Bangladesh « Make garment factories in Bangladesh safe », rendez-vous à www.labourstartcampaigns.net (en anglais), et pour signer la pétition d’Avaaz appelant les grandes marques de vêtement à signer des engagements contraignants offrant des garanties sur la construction et les normes de sécurité, rendez-vous à www.avaaz.org.

 – 30 –

Source :          Christian Guiollot, responsable du commerce équitable
Carrefour de solidarité internationale

Renseignements : Marianne Drouin
819 566-8595, poste 24
communications@csisher.com



[1] « Loblaw et Primark doivent inspirer les autres, dit Oxfam », Gérad Bérubé, Le Devoir, 1er mai 2013.

[2] Entrevue de Corinne Gendron, titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et développement durable de l’UQAM à RCI – http://www.rcinet.ca/fr/2013/05/01/lindustrie-textile-secouee-par-la-tragedie-au-bangladesh/?goback=%2Egde_1842449_member_237361942

[3]Le drame au Bangladesh nous démontre qu’il reste tant à faire http://www.aqoci.qc.ca/spip.php?article1812

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