20 Fév Devenir une École équitable pour créer un monde meilleur
Par Zack Gross, responsable de la sensibilisation pour Fair Trade Manitoba, un programme du Conseil du Manitoba pour la Coopération Internationale. Ancien Président du Réseau canadien du commerce équitable, il est actuellement membre du Conseil d’administration de Fairtrade Canada.
Cela peut sembler contre-intuitif, mais les personnes qui produisent de nombreuses denrées auxquels nous accordons une grande valeur, sont aussi parmi les plus pauvres de la planète et vivent dans des pays qui se trouvent dans le bas du classement des Nations-Unies pour l’Indice de Développement Humain. C’est le cas notamment des agriculteurs et des travailleurs qui produisent l’essentiel de nos vêtements, ainsi que notre café, thé, chocolat, sucre, fruits et d’autres produits tropicaux.
Le commerce équitable est un système qui combat cette injustice en offrant aux producteurs la possibilité d’avoir de meilleures conditions de travail et de rémunération, des pratiques environnementales plus vertes, une plus grande influence dans le marché mondial, et une prime équitable qui permet le développement des communautés où ils vivent.
En voyageant au cours de ma longue carrière, j’ai pu constater que lorsqu’on leur en donne l’opportunité et qu’on les traite de façon équitable, les personnes qui vivent dans les communautés de ces pays les plus pauvres – en particulier les pays dits « du Sud » – peuvent réellement améliorer leur qualité de vie. Un commerce plus équitable profite mieux aux travailleurs pauvres que ce que l’aide conventionnelle et les dons de charité ne le font actuellement. Même si votre générosité envers des organismes de charité est très appréciée et permet de faire de bonnes choses, beaucoup plus devrait être accompli au niveau politique pour s’assurer que nous ayons des produits de meilleure qualité en même temps que d’autres auront de meilleures conditions de vie. Par exemple, en Tanzanie, en Afrique de l’Est, j’ai vu des personnes « graduer » de la marche à pied au vélo, et du vélo à la conduite automobile, et de l’absence totale de technologie de communication à un accès 24/7 à Internet et au téléphone, en grande partie grâce aux bénéfices du commerce équitable dans le secteur de l’artisanat. En Amérique latine, j’ai vu la même chose dans les secteurs du café, du cacao et du sucre.
Les individus peuvent encourager ce mouvement global vers un commerce équitable en « votant avec leur porte-monnaie » pour des produits éthiques à chacun de leurs achats. Nous pouvons aussi regarder, et agir, du côté des réglementations commerciales dont les entreprises et gouvernement plus riches font la promotion, et qui nuisent aux familles et aux économies des pays plus pauvres. Les éducateurs peuvent offrir à leurs étudiants déjà passionnés de justice sociale l’information et la structure dont ils ont besoin pour faire une différence tangible dans la vie de ces producteurs grâce au commerce équitable. Que ce soit en créant un club, en organisant un événement, ou en intégrant le commerce équitable dans les politiques de l’école.
Pour certains enseignants, le commerce équitable n’est qu’un aspect des nombreux problèmes mondiaux qu’ils veulent exposer à leurs élèves, tandis que pour d’autres, cela devient une question déterminante dans leur école et dans la façon dont leur institution choisit de contribuer au soulagement de la pauvreté dans le monde.
J’ai commencé à parler de commerce équitable aux élèves il y a 45 ans, comme jeune activiste universitaire qui venait dans les classes pour parler de la pauvreté dans le monde, en faisant avec eux des jeux de simulation, et en leur montrant des diapositives comme on le faisait dans le temps. Aujourd’hui, je reçois quotidiennement des invitations de la part d’écoles pour venir faire des présentations sur le commerce équitable et les aider à planifier leur stratégie pour obtenir la désignation École équitable, organiser des Événements équitables comme leurs cérémonies de graduation, et pousser les commissions scolaires à intégrer le commerce équitable dans leurs politiques de développement durable. À travers cet article, je vous dévoile les éléments essentiels sur le commerce équitable, et je vous offre quelques idées sur la façon de vous impliquer.
Qu’est-ce que le commerce équitable?
Les deux questions qui me sont le plus fréquemment posées sont : qu’est-ce que le commerce équitable? et comment devient-on une École équitable? Puis s’ensuit généralement la question: où peut-on acheter des produits équitables? et tout ce qui concerne la fiabilité dans la disponibilité des produits et un niveau de prix raisonnable. Au bout du compte, on me demande souvent: est-ce que le commerce équitable fait réellement une différence dans les communautés du Sud? J’aborderai ces questions plus loin.
Pour résumer, le commerce équitable englobe quelques principes de base. Premièrement, c’est un système qui assure que les producteurs agricoles et manufacturiers reçoivent un meilleur revenu de leur travail et de leurs produits que ce que le marché mondial actuel ne le permet. Seulement quelques cents dans le prix de votre tasse de café ou de votre banane va réellement à la personne qui l’a cultivée. Le commerce équitable peut multiplier cette somme par six ou par dix.
Deuxièmement, les producteurs biologiques et équitables reçoivent des primes qui s’ajoutent à leur paiement et qui s’élèvent environ à 10%, et qui est directement investie dans des projets communautaires, tels que des écoles, des cliniques, de nouveaux équipements, et de la formation. La prime équitable a aussi permis de financer des recherches pour combattre les effets des changements climatiques. Le système de commerce équitable, notamment à travers Fairtrade International et ses partenaires nationaux, soutient aussi financièrement les agriculteurs lors d’événements climatiques ou lors de l’apparition de nouvelles maladies causées par les changements climatiques.
Comme les produits du commerce équitable sont souvent produits dans des coopératives rurales, le processus encourage également le leadership, la transparence et la démocratie. Un effort supplémentaire est fait pour assurer un rôle fort pour les femmes dans les coopératives, afin de lutter contre la domination masculine traditionnelle dans la société. Bien entendu, le commerce équitable interdit le travail des enfants, et il s’attache également à améliorer la sécurité des travailleurs.
Comme les produits du commerce équitable sont devenus de plus en plus courant au cours de la dernière décennie, il est maintenant facile de trouver des produits alimentaires typiques comme le thé et le café dans les grandes bannières d’alimentation. Bien évidemment, votre épicerie de quartier et les magasins d’alimentation bio ou santé vont également les offrir, de même que les boutiques Dix Mille Villages un peu partout au Canada et aux États-Unis. Pour aller plus loin que ces produits du quotidien, il faut parfois faire quelques recherches et accommodements, mais vous pouvez aussi trouver des fruits et légumes, des vêtements, des ballons de sport, du vin et d’autres alcools, des fleurs, des épices, des fruits séchés, et bien plus.
L’augmentation des ventes a aussi permis de faire baisser les prix de vente des produits équitables. En tant qu’ancien gestionnaire d’une boutique de commerce équitable, je sais qu’un paquet de café en grains autrefois vendu à 18$ peut maintenant être trouvé pour 5$ de moins! La disponibilité augmente assurément pour ceux qui vivent dans les grandes villes comme Vancouver, Toronto et Montréal, mais si vous voulez un produit dans votre village, vous pouvez généralement toujours trouver une façon de l’obtenir – que ce soit en organisant une activité spéciale mettant en vedette les bananes ou les fleurs équitables, ou simplement en allant rencontrer vos commerçants locaux qui peuvent joindre leurs forces pour faire venir ces produits de façon plus régulière.
Le défi principal est que la production dans le système équitable est bien plus élevée que la quantité de produits réellement vendus aux conditions du commerce équitable. Nous devons accroître nos efforts pour mettre sur le marché les produits de nos partenaires du Sud!
Devenir une École équitable
Avec le support de Fairtrade Canada [et de ses partenaires, l’AQCÉ et le RCCÉ, ndlr], ce n’est pas si difficile à faire. Formez un petit comité dans votre école qui inclut quelques élèves, au moins un enseignant, et une personne représentant l’administration [comme la personne responsable de l’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire par exemple, ndlr]. Faites en sorte que la salle des professeurs et la cafétéria offrent trois options de produits équitables, comme le café, le thé et le sucre. Accrochez des affiches sur le commerce équitable et organisez au moins une activité de sensibilisation pendant l’année. Mobilisez votre communauté et faites savoir autour de vous tout ce que vous avez accompli. Enfin, remplissez le formulaire de candidature disponible en ligne pour rendre votre désignation d’École équitable officielle.
Est-ce que cela fait une différence?
Au bout du compte, est-ce que le système du commerce équitable fonctionne vraiment pour améliorer la vie des producteurs dans les pays du Sud? Lorsqu’un enseignant ou un dirigeant me pose cette question, il ne veut pas entendre une réponse directement sortie d’un livre; idéalement, ils devraient aller voir les impacts positifs du commerce équitable de leurs propres yeux. C’est pourquoi les organisations du commerce équitable canadiennes ont mis sur pied des visites en pays d’origine, pour aller voir sur place les coopératives de café, cacao, banane, mangue, canne à sucre, etc. en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Ma propre expérience de visite en pays d’origine était au Pérou en 2016, avec une douzaine de militants, gens d’affaires et leaders institutionnels de partout au Canada. Nous avons vu par nous-mêmes les nombreux aspects décrits dans cet article. Certains éléments que j’utilise dans mes présentations mettent l’accent sur notre visite dans une coopérative de bananes où nous avons appris qu’avant que les gens de la région ne soient impliqués dans le commerce équitable, ils perdaient littéralement de l’argent pour chaque banane qu’ils vendaient, tant les prix du marché étaient bas par rapport aux coûts de production.
De même, nous avons vu les dispositifs de sécurité mis en place dans le système de production, incluant un équipement qui protège leurs épaules lorsqu’ils coupent et transportent de lourds régimes de bananes dans la chaleur et l’humidité. Nous avons également vu un plus grand leadership des femmes qui conduisaient la visite et mettaient en valeur leur coopérative.
Sans de meilleures conditions d’échange, il n’y a pas grand-chose qui pourrait retenir ces producteurs sur leurs terres, et leurs perspectives ne seraient que le maintien dans la pauvreté, des rendements toujours en baisse, et une isolation toujours plus grande dans un monde qui s’urbanise à une vitesse fulgurante.
Faire passer le message
Le commerce équitable peut créer une étincelle et provoquer un véritable changement, mais cela requiert notre implication. Les écoles apportent la passion, l’enthousiasme et le plaisir dans l’équation, c’est pourquoi ce sont de si bons endroits pour faire de la sensibilisation.
Comme je l’ai appris au travers de mes nombreuses visites en classe, avoir quelqu’un dans la classe qui vient motiver les étudiants et les enseignants sur un problème global peut créer un impact durable en offrant une activité expérientielle : un jeu, une belle exposition de photos d’une expédition dans le Sud, ou même la visite d’un intervenant venu de loin. Je parlais récemment dans un cours d’université et plusieurs étudiants m’ont reconnu : j’étais le « Monsieur Fair Trade » qui était venu une fois dans leur école secondaire, il y a quelques années. Ils se souvenaient même des t-shirts équitables qu’ils avaient imprimés, des ballons de sport équitables qu’ils avaient testés en cours d’éducation physique, et des muffins aux bananes et pépites de chocolat qu’on avait distribué à toute l’école.
Au militantisme pour le commerce équitable dans les écoles s’ajoute un bonus local : le facteur de l’engagement citoyen des jeunes. Nous demandons à nos étudiants d’être de bons protecteurs de la terre, de l’air et de l’eau, d’être de bons citoyens dans leur communauté, et de bons amis pour les autres jeunes autour d’eux. De nombreuses écoles se préoccupent de leur environnement social, économique et écologique. Parler de commerce équitable permet d’aider à construire cette conscience des jeunes, aussi bien sur des questions locales que sur des sujets qui peuvent sembler bien plus lointains.
Explorer le commerce équitable peut procurer une grande joie – tout comme de changer le monde; parlez-en dans votre école!
Cet article a été initialement publié en anglais dans Green Teacher numéro 115, hiver 2018 (https://greenteacher.com/green-teacher-115-winter-2018/), et traduit par Loïc de Fabritus avec l’aimable autorisation de l’auteur.